La population des musiciens est parmi celles les plus sujettes à développer des troubles musculosquelettiques en cours de carrière. Vous connaissez peut-être cette douleur familière qui arrive et qui repart depuis un certain temps, voire quelques années. Elle s’apaise à la suite de soins thérapeutiques, mais revient inévitablement au bout d‘un moment.  

Apprendre à exécuter différemment certains gestes liés à votre pratique instrumentale est souvent l’atout indispensable qui permet d’en finir avec la douleur. 

Sortons de l’univers musical le temps d’imaginer que, chaque jour, vous marchiez dans des chaussures trop petites pour vos pieds. Chaque semaine, vous faites traiter vos pieds douloureux, pour leur plus grand soulagement. Cependant, dès le jour suivant, vous remettez vos chaussures inconfortables. La douleur revient inévitablement après quelques pas et cela bien malgré l’excellence des soins reçus.  Il semble évident, dans cet exemple fictif, que changer ses chaussures pour d’autres à sa taille est essentiel à l’amélioration de la condition de ses pieds. De la même façon, modifier consciemment l’exécution d’un geste néfaste répété quotidiennement à l’instrument permet de surmonter une douleur récurrente au cou, à l’épaule ou ailleurs. 

Qu’est-ce qu’un TMS ?

Le trouble musculosquelettique est une atteinte aux tissus mous périarticulaires tels que les muscles, les tendons, les nerfs et les vaisseaux sanguins, due à leur surutilisation. (INRS 1er septembre 2021) Cette surcharge peut provenir d’une combinaison de plusieurs facteurs comme, entre autres, des postures contraignantes, des gestes répétitifs, une récupération inadéquate et un environnement psychosocial occasionnant du stress. (CNESST 1er septembre 2021) Les douleurs apparaissent progressivement à la tâche puis disparaissent. Si rien n’est fait à cette étape, la douleur revient ultérieurement et persiste sur une durée prolongée. Éventuellement, la blessure vient perturber les activités de la vie courante et peut même déranger le sommeil. (CNESST 1er septembre 2021)

Reprogrammer le geste

La reprogrammation du geste consiste à identifier le patron moteur responsable de la surutilisation des structures endommagées et de reconstruire la séquence de mouvements en respectant la physiologie corporelle.

Pourquoi ? 

Il faut voir le patron moteur comme une autoroute que l’on aurait créée à force de répéter un même geste. Ce chemin bien pratique n’est pourtant pas toujours le plus adapté à notre destination. Il est souvent un automatisme rassurant, devenu un choix inconscient qui libère de l’espace mental pour penser à autre chose. Lorsque le geste enregistré est néfaste pour le corps, il faut alors choisir une meilleure route. Mais pour cela, il faut revenir, pour un temps, en mode manuel.  

Pour se faire, il est conseillé d’être accompagné par un professionnel de la santé qui a une connaissance approfondie du geste physiologique du musicien.

Comment?

D’un point de vue clinique et pédagogique vient tout d’abord l’analyse de la posture et de la gestuelle à l’instrument. L’alignement segmentaire, l’équilibre des tensions musculaires et une respiration libre sont-ils présents? Puis, appuyé par quelques explications anatomiques et physiologiques utiles, l’intervenant propose et fait expérimenter au musicien une nouvelle organisation motrice plus respectueuse du corps, pour la même tâche. C’est la nouvelle route. Finalement, quelques exercices simples, avec ou sans l’instrument, sont proposés pour mieux intégrer progressivement la nouvelle séquence de mouvement.  

 Attention! La progression reste le mot d’ordre. Cinq à 10 minutes consécutives de pratique de cette nouvelle gestuelle suffisent pour intégrer progressivement les nouvelles commandes motrices sans sursolliciter les structures musculaires récemment impliquées. On favorise au départ une durée réduite et une fréquence plus grande, on veut « tracer » le chemin en l’empruntant régulièrement.  Éventuellement, avec la pratique répétée de cette nouvelle séquence gestuelle, le réseau neuronal se modifie au profit de l’automatisation de ce « nouveau » patron moteur (Doyon 2011). Ceci est un exemple de plasticité neuronale (Office québécois de la langue française 1er septembre 2021) ou de manière imagée une « nouvelle autoroute ».  

Complémentarité des approches

Dès que vous ressentez de la douleur, vous devriez en parler à votre médecin.  Ensuite, un suivi thérapeutique auprès de professionnels de la santé ou de thérapeutes corporels est tout indiqué dans le traitement des tissus lésés, contribuant à leur régénération. Un corps trop souffrant peut être grandement limité dans sa capacité à effectuer la nouvelle gestuelle proposée. En ce sens, un travail en collaboration est fortement conseillé. Le thérapeute aborde la blessure et contribue à relancer le phénomène d’autoguérison du corps tandis que le professionnel du mouvement propose et guide l’apprentissage d’une nouvelle gestuelle déchargeant la zone lésée, ce qui optimise les effets du traitement. 

D’autres avenues  

Il n’est pas nécessaire de souffrir pour s’intéresser à la reprogrammation du geste. L’optimisation de la performance artistique (expressivité, précision technique, vélocité) peut être abordée sur le plan de l’apprentissage de nouvelles organisations motrices facilitant le progrès technique et artistique. 

Souvenez-vous

Durant l’apprentissage de votre pratique instrumentale, vous avez créé plusieurs patrons moteurs propres à la gestuelle de votre instrument et à votre morphologie. Ces gestes automatisés vous ont permis de libérer de l’espace mental pour aborder de nouvelles difficultés, pour progresser. 

Il est possible que le geste enregistré présente des contraintes indésirables pour votre santé corporelle ou encore qu’il limite votre performance. 

Plusieurs facteurs de risque expliquent l’apparition éventuelle de douleur en lien avec la pratique instrumentale. Un mauvais alignement segmentaire alors que vous répétez le même geste fin sur une longue période peut accélérer le processus de lésion des structures musculaires, tendineuses, nerveuses et vasculaires, voire également ligamentaires et cartilagineuses. 

Cette organisation gestuelle, dont les angles articulaires et les niveaux d’activation musculaire sont enregistrés avec précision, n’est pas si simple à modifier. Seul l’apprentissage d’un nouveau « chemin » neuromusculaire pourra pallier ce geste fortement intégré. 

En répétant souvent et de manière progressive ces nouveaux gestes, vous allégez les tissus sursollicités, sources d’inconfort, et facilitez leur régénération à long terme. 

 

Références

Troubles musculosquelettiques (TMS). Consulté le 1er septembre 2021 depuis :   https://www.inrs.fr/risques/tms-troubles-musculosquelettiques/effets-sante.html

Trouble musculosquelettique, un mal sournois. Consulté le 1er septembre 2021 depuis : https://www.cnesst.gouv.qc.ca/sites/default/files/publications/troubles-musculosquelettiques-symptomes-et-facteurs.pdf

Trouble musculosquelettique. Consulté le 1er septembre 2021 depuis : https://www.cnesst.gouv.qc.ca/fr/prevention-securite/identifier-corriger-risques/liste-informations-prevention/troubles-musculosquelettiques-tms

Doyon, J., Orban, P., Barakat, M., Debas, K., Lungu, O., Albouy, G., Fogel, S., Proulx, S., Laventure, S., Deslauriers, J., Duchesne, C., Carrier, J. et Benali, H. (2011). Plasticité fonctionnelle du cerveau et apprentissage moteur. Consulté le 1er septembre 2021 depuis : https://www.medecinesciences.org/en/articles/medsci/full_html/2011/04/medsci2011274p413/medsci2011274p413.html

Fiche terminologique : plasticité neuronale. Consulté le 1er septembre 2021 depuis : http://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=8385538